la vengeance sans mesure, aussi terrible que peut l'inspirer la haine, ou la vengeance réglée par une sorte de justice sommaire, c'est-à-dire la peine du talion : " Dent pour dent, œil pour œil, tête pour tête ". Dès que la famille fut constituée, elle se substitua à l'individu pour exercer la vengeance ou la vendetta. Elle exige le prix du sang : chaque blessure est payée par une autre blessure, chaque mort par une autre mort, et c'est ainsi que les haines et les guerres s'éternisent. C'était l'état d'une grande partie de l'Europe au moyen âge, c'était au dernier siècle celui de l'Albanie, du Caucase et de beaucoup d'autres pays.
Cependant un peu d'ordre s'est introduit dans les guerres perpétuelles, grâce au rachat. Les individus ou les familles, pouvaient d'ordinaire se racheter, et ce genre de transaction était fixé par la coutume. Tant de bœufs, de moutons ou de chèvres, tant d'écus sonnants ou d'arpents de terrain étaient fixés pour le rachat du sang. Le condamné pouvait aussi se racheter en se faisant adopter par une autre famille, quelquefois même par celle qu'il avait offensée ; il pouvait aussi devenir libre par une action d'éclat ; enfin, il pouvait tomber trop bas pour qu'on daignât le punir. Il lui suffisait de se cacher derrière une femme et désormais il était libre, trop vil pour qu'on voulût le tuer, mais plus malheureux que s'il eût été couvert de blessures. Il vivait, mais sa vie était pire que la mort.
La loi du talion de famille à famille ne pouvait évidemment pas se maintenir dans les grands États centralisés, monarchies, aristocraties ou républiques. Là c'est la société, représentée par son gouvernement, roi, conseils ou magistratures, qui se charge de la vengeance ou de la vindicte, comme on dit en langage de jurisprudence. Mais l'histoire nous prouve qu'en accaparant le droit de punir au nom de tous, l'État, caste ou roi, s'est occupé surtout de venger ses injures particulières, et nous savons avec quelle fureur il a poursuivi ses ennemis et quels raffinements de cruauté il a mis à les faire souffrir. Il n'est pas de torture que l'imagination puisse inventer et qui n'ait été ainsi appliquée sur des millions d'hommes : ici on brûlait à petit feu, ailleurs on écorchait ou on découpait successivement les membres, à Nuremberg, on enfermait le condamné dans le corps de la " Vierge " de fer, rougie au feu ; en France, on lui brisait les membres ou on le tirait à quatre chevaux ; en Orient, on empale les malheureux ; au Maroc, on les maçonne en ne laissant que la tête hors du mur. Et pourquoi toutes ces vengeances ? Est-ce pour punir de véritables crimes ? Non, toujours la haine des rois et des classes dominantes s'est tournée contre les hommes qui revendiquaient la liberté de penser et d'agir.
C'est au service de la tyrannie qu'a toujours été la peine de mort. Qu'a fait Calvin, maître du pouvoir ? Il a fait brûler Michel Servet, un de ces hommes de divination scientifique comme on en compte à peine dix ou douze dans l'histoire de l'humanité toute entière. Qu'a fait Luther, autre fondateur de religion? Il a excité ses amis les seigneurs à courir sus aux paysans : " tuez-les tous, tuez-les, l'enfer les reprendra plus tôt. " Qu'a fait l'Église catholique triomphante ? Elle a organisé des autodafés. C'est elle qui alluma les bûchers, qui tint pendant trois siècles le noble peuple de l'Espagne sous la terreur. Et récemment quand une ville libre, coupable d'avoir maintenu son autonomie, a été reconquise par ses oppresseurs, n'avons-nous pas vu ceux-ci tuer par milliers, hommes, femmes, enfants et se servir de la mitrailleuse pour grossir plus vite les tas de cadavres ? Et ceux qui ont pris part au massacre, fiers de leur besogne, ne sont-ils pas venus cyniquement s'en vanter ? Ici même on a pu les entendre.
(L'orateur fait allusion à la répression de la Commune de Paris.)
Mais si l'État est féroce quand il s'agit de venger une atteinte portée à son pouvoir, il apporte moins de passion dans la vindicte des crimes privés, et peu à peu cela lui a fait honte d'appliquer la peine de mort. Le temps n'est plus où le bourreau, vêtu de rouge, fait montre de sa personne derrière le roi: ce n'est plus le second personnage de
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