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Correspondance de P.J. Proudhon

Cette projet est pour ma classe d'anarchie. Il est le premier du 32 Volumes, de la Librairie Internationale, Paris. Il n'ya pas de dates sur les lettres.

1)A.M. Muiron,

Vous me demandez, Monsieur, pourquoi cette grande répugnance de ma part à signer votre journal dès mon début. Vous comprendez sans peine les raisons d'un semblable refus, quand vous saurez ce que j'ai fait jusqu'à ce jour et combien peu je suis avancé dans ma carrière littéraire. Entendons-nous d'abord; je ne crains pas mes écrits, seulement je vous demande un délai, parce que je ne veux pas être pris au dépourvu.

Entièrement Etranger par mes goûts particuliers aux querelles et aux débats politiques, je suis peut familiarisé avec le style au jargon des journaux, le genre de mes études étant presque totalement étranger aux connaisances que l'on exige d'un rédacteur; quel parti, en effet, pourriez-vous tirer, Monsieur, d'un homme qui ne s'est occupé toute sa vie que de métaphysique, de langue, de théologie?

Depuis deux ans je cours le monde, étudiant, interrogeant le petit peuple dont je me trouve plus rapproché par ma condition sociale; n'ayant guère le temps de lire, écrivant encore moins, rangeant à la hâte les idées que ma fournissent l'observation, la comparaison de tant d'objets divers; je manque totalement du talent d'écrire et de parler avec fertilité et esprit sur toutes sortes de meti&egrav;eres, qualité essentielle chez un journaliste.

De tout cela je commence à m'apercevoir et je conclus que je ne suis guère l'homme qu'il vous faut; et vous m'en croirez sans peine, Monsieur, si je vous assure que je n'eusse pu songer à me présenter chez vous de mon propre mouvement, n'était toute ma déférence pour les exhortations et les conseils d'un ami(Olympe Micaut), sans lequel moi, simple compisiteur d'imprimerie, je douterais que je pusse être autre chose.

J'avais vu des rédeacteurs de province; je savais de quelle façon et avec quels matériaux la plupart remplissent leur feuille, et sur cet exposé, je me flattais, ayant déjà fait quelque chose de plus difficile, ce me semble, d'en venir facilement à bout, -Ajoutez l'espoir qu'on faisait briller à mes yeux de pouvoir me livrer exclusivement à l'étude.

J'espérais de votre complaisance que vous-même me mettriez au courant d'une rédaction; je sentais le besoin de suivre quelque temps la polémique des journaux; je voulais faire connaissance avec ses gens-là; en un mot, commencer une sorte d'apprentissage.

Enfin, Monsieur, je veux avant tout consulter M. Fallot, comme j'ai eu l'honneur de vous lire. Mais je dois vous prévenir que, quelque puisse être mon sentiment, je ne consentirais à signer l'Impartial qu'à dater du 1er janvier. C'est pour moi une condition sine qua non; ce point accordé, je me préterai à toute proposition de votre part.

Voyez donc, Monsieur, si, à l'aide d'un prête-nom, d'un homme de paille, il vous est possible de concilier votre détermination et la mienne.

Dans le cas où nous pourrions nous entendre, ma franchise me ferait encore un devoir de vous exposer mes opinions politiques, philosophiques et religieuses auxquelles j'ose dire que je ne dérogerai jamais.

P.-J. Proudhon.

2)A.M. Muiron,

Monsieur, j'éprouve un plaisir infini à vous entendre, et j'avoue, avec un peu d'embarass, que je ne m'attendais pas à recontrer un caractère si facile, si accommodant que le vôtre.

Mes irrésolutions ne font que croître et me torturer de plus en plus. Piqué du reproche de découragement, je ne sais quel parti prendre; mais, réflexion faite, je donnerais beaucoup pour avoir refusé net dès le premier instant. Ce serait me rendre le plus grande service, et dont je serais toute ma vie reconnaisant, que nous en demeurassions là, pour tout ce qui regarde notre affaire. Rédiger un article m'épouvante plus que jamais.

Vous me demandiez hier si les opinions que je professe et qui nous sont communes, je les écrirais dans une feuille publique, et vous répondiez: "Non, sans doute." Et pourquoi non? pourquoi l'Impartial ne serait-il pas un journal républicain, à sa manière toutefois?

Pourquoi cette feuille, dont les plus nombreaux abonnés sont les maires des campagnes, ne serait-elle pas indépendante de toute autorité, administration ou magistrature supérieure, nommée par le ministre ou par le roi?

Pourquoi n'admettrait-elle, ne provoquerait-elle pas les réclamations des communes contre les maires, de ceux-ci contre le préfet et les sous-préfets? Car je remarque à la lecture de cette éternelle controverse entre le Patriote et l'Impartial, qu'on reproche surtout à celui-ci d'être la feuille officielle, ministérielle, stipendiée, soutenue par l'autorité, à charge par elle de louer et préconiser tous les actes de celle-ci. Pourquoi ne professerait-on pas publiquement un pyrrhonisme absolu sur tous les ministères passés, présents et futurs? Pourquoi n'inviterait-on pas les populations à se rendre elle-mê mes capables de gérer leurs affaires, de préparer ainsi les voies à la confédération des peuples? Qu'elles cherchent dans l'instruction, la science, la saine morale, le patriotisme, à se passer de toute hiérarchie ministérielle et constitutionelle, tout en faisant leur profit cependant du peu de bien qu'elles en pourront recueillir.

Pour vous le dire à l'occasion du Phalanstère, dont j'ai lu attentivement le prospectus, je ne pense pas comme M. Fourier, jusqu'à plus ample informé. Jamais avec vous je n'aurai de discussion à cet égard; mais, je vous l'avoue, je serai plutôt convaincu par les faits que par les arguments ; et ceux-ci, je les comprendrai mieux, lorsque j'en verrai faire la plus heurese application. Laissons cela.

J'ai lu aussi votre polémique avec M.A.-F.C. Elle m'a paru une dispute de mots. Mais me supposant rédacteur, je trouvais que l'arme du ridicule serait pour moi la plus redoutable; je ne tiens pasà la plus mauvaise plaisanterie.

Enfin, Monsieur, vous ne manqueriez jamais de bonnes raisons pour lever tous mes scrupules, dissiper mes doutes et fixer mes incertitudes.

Je cesserai donc de chercher des motifs à mon refus. C'est impuissance complète, c'est répugnance invincible, c'est. . .c'est enfantillage, si vous voulez. Je ne me connais point, j'étais entrainé par le désir de correspondre aux voeux d'amis tels que Micaud et Fallot: ma bonne volonté m'a trompé.

Arrêtons-nous quand il en est temps encore. Epargnons-nous á tous deux une fâcheuse expérience .

Voici, Monsieur, ma définitive résolution, et en même temps la dernière entrevue que j'aurai l'honneur d'avoir avec vous, jusqu'à ce qu'il soit bien sûr que toute négociation nouvelle à l'égard de notre affaire est désormais impossible. Je dis la Dernière entrevue, en supposant toutefois que vous un commerce de conversation ou de lettres, encore plus agréable qu'utile.

Si vous étiex embarrassé de trouver un gérant, je vous offrirais mes faibles services pour vous trouver un homme plus capable, de tout point, que moi pour cette besogne.

Je sens que j'aurais besoin de travailler six mois au moins à de sérieuses études, de donner l'éveil à mes idées, de les digérer, de les mettre en ordre, avant d'oser écrire un seul mot pour le publier, chose que je m'obstine à regarder comme plus importante que vous n'en convenez; et au bout de ce temps, je refuserais vos offres avec d'autant plus de fermeté que je serais mieux instruit et plus capable. Brisons donc là, s'il vous plâit.

Je me suis examiné sérieusement, j'ai consulté des personnes sensées, lesquelles sont entrées parfaitement dans mes raisons.

Mon travail d'imprimerie, me dérobant à mes lectures, me laisse pleine et entière liberté d'esprit pour la méditation. Le journal m'obligerait à lire journaux et brouchures nouvelles, toutes choses insupportables pour moi, me fatiguerait par une contention d'esprit perpétuelle, absorbé que je serais entièrement par la controverse et la polémique continuelle. En somme, je vois de grandes chances d'ennui et des tribulations, contre de très-minimes, pour ne pas dire nulles, de gloire et de satisfaction.

P.-J. Proudhon.

3)A.M. Muiron,

Monsieur, vous m'avez témoigné si souvent tant de bienveillance, d'intérét, je peux dire d'amitié, que vous témoigne un peu de reconnaissance, mais à ma faĉon. Vous savez que je m'occupe quelque peu de l'étude des langues: je viens d'imprimer un petit essai de grammaire générale qui paraItra à la suite des eléments du célébre Bergier. J'ai l'honneur de vous offrir l'un et l'autre.

Si je ne me flatte pas trop, j'espère que vous trouverez dans cet essai assez court, des choses toutes nouvelles et curieuses. Du moins, c'est le jugement qu'en ont déjà porté quelques personnes de merité. Si vous avez du temps à perdre à une pareille lecture, je ne crois pas trop présumer de votre complaisance accoutumée pour espérer que vous ne m'épargnerez aucune observation. Puis, si vous jugez que la chose vaille la peine d'être communiquée au public, je me repose entièrement sur vous du soin de faire ou faire faire une petit annonce de notre nouvelle publication dans le journal dont je vous regarde toujours comme le modérateur. Seulement, je désirerais qu'au lieu de m'y faire connaItre par mon propre et privé nom, il n'y eût de cité que le nom de l'imprimerie Lambert. Vous devinez aisément les motifs qui me font je fais partie, à la mienne.

En ce moment, je me livre à des études assez étendues et très-importantes sur les langues. Si mon coup d'essai réussit, il ne doit pas s'ensuivre moins d'une révélation grammaticale, car, les principes admis, il faudra parcourir toute la série des conséquences. J'espère aller loin dans cette carrière que j'embrasse et dans laquelle j'ai cru apercevoir que, jusqu'à ce jour on n'avait fait que des reconnaissances. Or, je crois me rappeler que vous m'aviez autrefois parlé d'un auteur distingué en ces matières. Ne pourrais-je, par votre obligeance, en avoir communication pour quelques jours. Je vais vite en besogne et, grâce à la méthode que je me suis faite et dont je recueille déjà les fruits, j'apprends toujours plus de choses dans la meillure grammaire que l'auteur n'en soupçonnait.

Voilà bien des services demandés, et vous devez trouver mon petit cadeau fort intéressé. Mais l'amitié est inépuisable, et la franchise ne sait pas supposer la dissumulation.

Je suis toujours celui que vous avez connu révant, philosophant, réformant, et mieux encore, votre tout dévoué.

P.-J. Proudhon.

4)A.M. Muiron,

Monsieur Muiron, je suis vraiment honteux de n'aller vous voir que lorsque j'ai besoin de vous, d'autant plus que je sens encore le reproche assez piquant que vous m'avez fait de mon manque d'exactitude. Il semble que vous ne m'ayez pas encore jugé. Cependant, vous ne devriez pas avoir de peine à comprendre que je suis si nouveau dans la société et la civilisation, que je ne connais encore du monde que les maisons et les rues. Oui, j'éprouve encore cette sotte honte d'un berger que l'on veut faire entrer dans un salon. Je crains, comme des bêtes effrayantes, les visages que je n'ai jamais vus, je recule toujours à voir les gens même qui peuvent m'être utiles et me vouloir du bien; je n'ai de présence d'esprit et d'aplomb que lorsque je me vois seul et que c'est ma plume qui parle. Mérite fort commun, mais que voulez-vous?je[sic]sais que je ne brille ni par les dehors, ni par l'élocution; j'aime mieux n'être vu ni connu de personne.

Je me fais un plaisir de vous dire que l'on me mitonne un article dans leNationalpour je ne sais quand. Je sais déjà que le fort de la discussion roulera sur ces singulières conséquences que je me suis avisé de prétendre, que l'on déduirait un jour et d'une manièr démonstrative, de la comparaison des langues, savoir: l'époque à laquelle le genre humain a dû commencer à races humaines, et le lieu où fut placé le berceau du genre humain. Il est vrai personne, avant moi, ne s'avisa jamais d'idées aussi extraordinaires, je puis le dire; mais j'espère, quand la bataille se donnera, réduire les incrédules au silence. Il y a des gens qui n'admettraient pas les vérités mathématiques, s'ils croyaient qu'elles pussent donner raison à quelque partie des traditions sociales universelles ou de la Genèse de Moïse. Je sais que cette philosophie mesquine n'est pas le vôtre, et je crois que le temps est bien venu où la raison ne doit reculer devant la conséquence d'aucun principe certain et bien constaté. Que pense-cette proposition: L'étude du languagge é'tablira un jour duisent à SEPT qui sont comme les sept sens ou facultés de la nature morale; qu'il n'y en a ni plus ni moins, qu'il est impossible d'en imaginer davantage, et organisés entre eux comme la flûte de Pan aux sept tuyaux, n'a jamais pu étre découverte par l'homme, mais qu'elle lui a é'té enseignée par une révélation immédiate! Que dirait-on, si je soutenais qu'on jour l'étude du langage et de la physiologie nous rapprochera tellement de Dieu, que nous croirons le voir et le toucher? Les matérialistes qui nient tout ce qui n'est pas rapport, machine, équilibre de fluide ou de poids, les prêtres, qui croient avoir seuls la science de Dieu et de l'homme, tous ces gens-là et bien d'autres crieront à la folie et au scandale.

Ou je suis fou, complétement fou, ou je vois certainement des choses dont la conséquence nécessaire, immédiate infaillible, sera le changement de la société, qui donnerait à l'axe terrestre 10 degrès


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