De P.-J. Proudhon
A. M. Darimon
15 Janvier 1850
Vol. 3, pgs. 83-85
Mon cher Darimon, je nai pas lu la proposition Pradié ; je la crois excellent ; mais il me semble quun bon article, dans lequel vous auriez fait ressortir énergiquement que cette proposition était une organisation de la résistance légale, voire au besoin de linsurrection eût mieux valu que linsertion.
Ce que vous dis de la proposition Pradié, je le dis de l ;ensemble de la rédaction. Nous avons assez discuté ; la réaction se moque de nous et se prépare à enforcer la République ; il est temps que nous refassions un peu dagitation et de menace. Si la Voix du Peuple, si la République ne peuvent rester dans des conditions pareilles, il fait sortir de là au plus vite, ou périr. Désormais, la Voix du Peuple doit réduire sa discussion doctrinale et reprendre la polémoque révolutionnaire du Peuple. Les faits abondent ; les persécutions, les abus de pouvoir, les avanies pleuvent de tous côtes sur nous, et nous ne disons rien. Nous tendons le dos. Vous premiers-Paris ne doivent plus être que le récit des actes quotidiens du pouvoir, écrit à lhuile de vitriol. On en veut à la République et à la liberté ; il est temps que la révolution, de socialiste que nous lavons faite exclusivement depuis quatre mois, se refasse jacobiniste. Cest par exception que nous ferons de temps en temps encore de la doctrine ; ce quil faut aujourdhui, cest de souffler la guerre. Assez déconomie politique et de métaqhysique ; tous le huit jours un bon article sur lÉtat, un autre sur le crédit, et cest assez. Le reste, à la guerre. Je me propose, dès demain qu plus tart, de vous remettre dans cette ligne. Nous y serons sabrés, de vous remettre dans cette ligne. Nous y serons sabrés, cest ce que je demande. Avant de mourir, nous aurons, je lespère, inoculé le venin de la révolte à tout le pays. Puisque nous devons passer encore par lorgie jacobine, que la réaction nous y force, que les représailles deviennent chaque jour un droit et un devoir, je nentends pas rester en retard ; je veux être encore le roi de ce carnival. Au reste, chaque jour mirrite davantage, et je ne puis plus tenir à cette situation miton mitaine. Je préfère Doullens ou un cachot.
Donc, de léconomie politique et de lanarchie comme assaisonnement ; mais avant tout de l, cest ardeur révolutionnaire, de léland montagnard et insurrecteur. Nous sommes morts sans cela.
La liberté de la presse supprimée, le peuple désarmé, le personnel de lÉtat épuré, tous les droits, toutes les lois foulées aux pieds, ce nest plus le cas de discuter froidement sur l ;autorité ou lauto-démocratie. Il faut briser la société si nous voulons la suaver ; notre dernier argument, la sanction de notre critique, cest la révolte. Je ne veux pas avoir la honte de rester journaliste quand la liberté de la presse est supprimée ; il faut parler ou briser mes plumes.
Je vous envoie par Vasbenter une lettre de F.G*** sur son roman. Veuillez y faire réponse. Cet ami, après nos avoir assassiné de son prologue, veut nous imposer son roman. Cest trop des troits quarts.
A-t-on rendu compte dans la Voix du Peuple de la pièce de G. Sand, le Champi ? Sauf quelques études archéologiques de langage, qui ne suffisent pas du reste à constituer une uvre littéraire, cest absurde. La presse amie loue cela ; si nous étions dignes de notre titre, si nous étions des critiques sérieux, judicieux, amis du peuple et de la famille, nous aurions fait sentir les étrivières à G. Sand. Mais nous sommes, nous, les rédacteurs de la Voix du Peuple, aussi moutons, aussi complaisants, aussi flagorneurs, aussi valets, aussi relâchés que les autres. Nous ne valons que pour la pêche aux écrevisses.
Amen, amen, dico vobis ; que nous serons un de ces matins étranglés entre deux portes ; que la réaction va souffler sur la République comme sur une chandelle, et quon nous enverra tous à Madagascar ou en Afrique ; et ce sera bien fait.
Sur ce je prie le diable quil vous inspire.
P.-J. Proudhon.
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