Besancon, 2 janvier 1842.
M. Bergmann
Mon cher Bergmann, j'attendais de tes nouvelles en septembre ou octobre dernier, par Dessirier ou Maguet; comme tu m'avais prévenu de l'intention où tu étais de faire un voyage à Paris, j'espérai que ce serait pour moi une occasion. Je n'ai rien appris. As-tu renvoyé à un autre temps ton voyage? Es-tu marié, enfin? Es-tu mort pour les amis, depuis que tu as dû mourir pour toutes les femmes, moins une?
Ackermann m'a écrit, il y a un mois; il se plaint également de ton silence. Tu as dû recevoir une petite publication de sa facon; et il attend probablement ton opinion. Pour moi, je suis loin d'ètre satisfait du tour que prennent ses études; j'ai peur que son esprit ne se subtilise tant qu'à la fin il ne s'évapore.
Quant à moi, mon cher ami, je m'enfonce de plus en plus dans l'économie et les recherches socialistes; et si je ne t'ai pas écrit depuis si longtemps, c'est que j'ai une brochure nouvelle à t'envoyer, et que j'en attendais la fin. Une attaque fouriériste, jointe à la gravité des circonstances, m'a forcé de reprendre la plume et de lancer, tout en me défendant, une sorte de programme de l'ouvrage plus important que je prépare. Tu pourras, je le crois, préjuger mes futurs travaux d'après cette annonce; et peut-être ne seras-tu pas étonné si je te dis que dans deux ans je serai tout entier, avec armes et bagages, dans le gouvernement.
Tu me reprocheras, cette fois encore, une attaque effroyable contre le National; ma réponse es simple. J'ai été dénoncé et signalé à la justice par ce journal; je suis maintenant offensé et non pas offenseur. Du reste, je souhaite que le National ne laisse pas passer ainsi ce nouvel horion; car, de deux choses l'une, ou il crèvera de mes accusations, ou bien il donnera explication, rétractation et profession de foi contraire. Nous plaiderons, soit devant les tribunaux ordinaires, soit devant des arbitres; et comme l'événement est prévu, je n'ai rien à craindre. Lui seul éprouvera un échec. Il est possible aussi qu'il se rende compte du danger de sa situation et qu'il prenne le parti de sa taire, ce qui serait peut-être le meilleur; dans ce cas, mes accusations subsistent, et gare les citations que d'autres journaux en pourraient faire.
Je compte partir pour Paris dans la huitaine. Ma boutique a un peu de besogne; je suis imprimeur pour jamais. J'acquiers de jour en jour la sympathie de mes concitoyens : banquiers, négociants, jeunes gens, avocats et médecins me veulent du bien; il n'y a plus conte moi que la vieille Académie.
J'aurai probablement une rude année à traverser; mais j'ai lieu de croire que ce sera la dernière. Nos conseillers municipaux me cherchent une place au pays afin de me retenir parmi eux.
Je te souhaite, mon ami, une bonne année, et la paix et l'amour dans ta famille. Tu pourras m'écrire à l'adresse de Dessirier, rue Sainte-Anne, 22.
Je n'oublie pas ce que je te dois; mais je suis encore bien pauvre. Il faut, pour me remettre à flot, un nouvel ouvrage et l'adhésion du pouvoir, que du reste je suis sûr d'obtenir.
Je t'embrasse de tout mon coeur et te prie de croire que je pense à toi tous les jours.
Ton ami,
P.-J. Proudhon.
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