Letter to M. Ackermann, his colleague
(pg. 221), 2 juillet 1840
Paris, 2 juillet 1840
A M. Ackermann
Mon cher Ackermann, je pars dans quatre ou cinq jours, pour rentrer dans mon imprimerie et aviser au moyen de vivre et de philosopher encore, car je n'ai pas fini. Mon traité de la Propriété n'est, comme bien vous pensez, qu'un prélude. Je vous suppose assez d'intelligence pour comprendre les raisons de ma retraite: un pareil livre ne méritera jamais à son auteur les recompenses secretes du ministère, les éloges des Académies et le suffrage des parties. J'ai cherché la vérité pour la dire, quelle qu'elle fût, et il est arrivé que je n'ai eu que des choses déplaisantes à formuler. J'ai écrit à Bergmann que j'attendais de lui des consolations bien plus des compliments; je vous en dirais autant, si vous ne m'aviez pas mis absolument de côté. Voir et savoir est la vie des être pensants; mais que cette vie est dure! Depuis le jour ou J.-J. Rousseau écrivit la profession de foi du Vicaire Savoyard, aucun home peut être n'a eu une conscience plus forte de la vérité de ses écrits, aucun n'a été livré à une tristesse plus profonde qu'est la mienne.
Paris est la meme qu'à votre depart: bête, immonde, bavard, égoéste, orgueilleux et dupe. Depuis les moutards jusqu'aux pairs et aux ministres, tout est livré à la cupidité et au plaisir. On marche sur ceux qui se pâment de faim: pourvu qu'on Braille dans un banquet politique et qu'on se livre au ribaudage, on est content. Nous sommes au temps de Commode et de Caracalla.
M. Bounet n'est pas plus content de son sort que moi; il me disait hier que vous pourriez bien pousser jusqu'a Saint-Pétersbourg; je vous le conseillerais volontiers si cela ne vous élongait pas de plus en plus; car il me semble que plus on se rapproche des Scythes, plus on marche vers la civilization.
Écrivez à Bergmann, à Strasbourg, pour lui et pour moi; vous recevrez nos letters en meme temps.
J'espère qu'une autre fois je vous en dirai advantage. Ma pensée est pauvre, comme mon coeur est désolé. Cependant je vous aime, et si je vous savais content j'en éprouverais du soulagement.
Votre ami pour la vie.
P.-J. Proudhon
P.-S. Tous les amis vont bien; tous font cause commune avec moi pour la propagation de la vérité. Je joins à mon travail sur la Propriété un discours sur le Dimanche, pour le premier honnête home que vous rencontrez.