Letters from: Proudhon, P-J. (1875) Correspondance de P.-J. Proudhon; Tome Troisiéme Librairie Internationale; Paris.
De P.-J. Proudhon
À Mme Proudhon
Lyon, 8 octobre 1846
Vol. 2, pgs. 218-220
Ma chère mère, vous voilà donc avec deux petits-fils ; je rends grâce à Dieu que votre postérité et la mienne soit assurée. Puisque la femme de Charles est souffrante et que dailleurs elle est de bonne composition, au lieu de vous tuer à faire le voyage de Burgille tous les jours, je crois quil serait à propos que vous vous installiez chez Charles et que vous prenez dautorité le gouvernement. La direction dun ménage, comme celle dun gouvernement revient de droit aux plus capables et aux plus forts ; faites donc ce que je vous ayez tant dempire, vous remettriez le marché en main. Mais je vous connais trop bien, chère mère, pour croire que lon se plaigne jamais de vous. Faites donc le nécessaire, puisquil ny a personne là.
Mon livre est terminé ; il a dû être mis en vente à Paris le 5 de ce mois. Ce nest pas avant cinq ou six mois que je saurai dune manière définitive ce que le public en pense.
Dici là, jai pris mon parti et je vais tenter quelque chose de plus important. Je vous lai annoncé, ce livre est le dernier que je ferai de ma vie ; désormais jentre dans une autre voie. Je ne puis vous dire encore par correspondance quelles sont mes vues ; il suffit que vous sachiez quant à présent que je ne peux plus me souffrir à Lyon ; jaimerais mieux être garde-champêtre à Cordiron que de vivre comme je vis.
Jai du commerce et de toutes les vilenies mercantiles par dessus la tête, et je ne respire quaprès le jour où je dirai adieu à la boutique. Dailleurs je nai plus rien à y apprendre, et puisque mon étoile na pas permis que je devinsse père de famille, je veux jouir de ma liberté. Jai présentement assez de ressources en moi-même pour me donner lagrément de transporter ailleurs mon domicile et de changer de métier. Au reste, chère mère, de même leffort que je veux faire à la suite pour prendre la position que jambitionne sera aussi le dernier.
Si jéchoue dans mon projet, jen serai quitte pour me résigner à vivre modestement avec les appointements dun bon commis, et je peux aller, en men donnant la peine, de 2 à 4,000 francs. Mais je crois que jai beaucoup mieux à faire en ce moment, et je naurai pas travaillé dix ans et vécu de privations pendant tout ce temps, en mefforçant dapprendre quelque chose, pour menterrer tout vivant et sans protester dans mes fonctions de commis.
Je vous embrasse, chère mère. Votre fils respectueux et dévoué.
P.-J. Proudhon
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