Paris, 29 mai 1840
Pierre-Joseph Proudhon
À M. J.-B. Proudhon
Vol. 1, pg 215
Mon cher cousin, votre dernière lettre ma causé un extrême plaisir, malgré les fines railleries que vous my jetez à pleines mains ; je sais supporter à merveille la plaisanterie, je ne crains que la colère des personnes. Moquez-vous de moi tant que vous voudrez, pourvu que les reproches nen soient pas, cela ne me fera point du mal.
Je ne suis ni saint-simonien, ni fouriériste, ni babouviste, ni daucune entreprise ou congrégation réformiste. Je crois seulement quen fait déconomie, de politique et même de morale, comme en chimie et en astronomie, le dernier venu est toujours celui qui en sait le plus. Les plus grands esprits ne sont donc pas nécessairement les plus savants, et tel qui, né de notre temps, eût étonné les Aristote et les Cicéron, sil eût été leur contemporain, serait mort dans lobscurité. Nous ne valons pas parce que lon nous apprend, nous valons parce que nous faisons. Or, mon cousin, dussiez-vous en rire encore, avec ce que je sais, et qui nest pas grand-chose, je compte faire un pas de plus que mes devanciers ; cest fier, jen conviens, mais cela sera, ou le my perdrai. Je ne travaille pas pour faire un métier ; à travailler pour vivre, je préfère latelier à la plume. Or, il mest acquis désormais que mes études ne me rapporteront jamais un centime, du moins je ne lespère pas. Cest triste ! direz-vous ; non, mon cousin, cest naturel.
Je moccupe à mettre la dernière main à un manuscrit que je compte imprimer à Paris sous peu. Il me tarde que cette affaire soit bientôt terminée, parce que les détails dimpression et de révision prennent toujours beaucoup de temps, et que je ne voudrais pas navoir fait que cette seule étude dans mon année. Jespère, mon cousin, vous embrasser avant peu, étant bien résolu dassister au congrès scientifique qui doit avoir lieu à Besançon en septembre prochain, et de profiter de ce temps pour faire un bout dinventaire à mon imprimerie.
Je fais un ouvrage diabolique et que meffraie moi-même ; jen sortirai brillant comme un ange, ou brûlé comme un diable ; priez Dieu pour moi.
Bonjour, mon cousin
P.-J. Proudhon
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