Letters from: Proudhon, P-J. (1875) Correspondance de P.-J. Proudhon; Tome Troisiéme Librairie Internationale; Paris.
De P.-J. Proudhon
A M. Charles Edmond
Paris, 27 février 1850
Mon cher Edmond, jécris des lettres, parce que je suis incapable de faire autre chose. Tout me dégoûte et mennuie, philosophie, littérature, économie politique et histoire. Je hais surtout les questions dactualité ; et, quant à celles auxquelles jai moi-même touché, je ne puis plus en entendre parler ; je me fais horreur. Parler toujours ; quelle pitié, quand il y a tant A FAIRE !
Posez donc la question électorale en ces termes :
Le pays ou létranger !
La nation ou la coalition.
Linviolabilité du territoire ou linvasion, car cest là que nous en sommes.
Le gouvernement a tout faire pour attirer létranger chez nous ; il lui a prodigué les encouragements, les invitations, les gages de bon accueil. Le général Baraguey-dHilliers, cest lescorte dhonneur des Russes prenant la route de Paris.
Les cris de la Réaction contre le Socialisme rappellent les vivat des 1814 et 1815 aux alliés !
Sonnez donc le tocsin ; mettez habilement le pouvoir en suspicion, rappelez les souvenirs de 92, la trahison de Louis XVI, les intrigues de lémigration. Relisez le Moniteur, les mémoires du temps, lhistoire parlementaire de Buchez ; citez les discours ; faites avec lhistoire ancienne la leçon au peuple de 1850.
Point de relâche que la démocratie, unie comme un seul homme, ne soit sur pied.
Ne songez plus à faire prévaloir pour le moment nos principes. Nous navons avec nous quune minorité infime. Il faut que le peuple français se donne le plaisir dun essai de communisme dictatorial ; il narrivera à la synthèse que par lantithèse. Si nous avons obtenu un grand avantage, en faisant accepter lidée fusionniste, le Luxembourg et le jacobinisme en recueillent les fruits en faisant accepter pour candidat Vidal et De Flotte ; Carnot lui-même nest quune excitation nouvelle donnée au jacobinisme. Acceptons tout cela sans nous en préoccuper ; portons la polémique sur la question étrangère ; éveillons le peuple endormi ; appelons les Jacques ; ressuscitons les milices citoyennes et les corps francs.
Nous reviendrons à la charge avec nos idées mutuellistes, quand le peuple sera soûl de communauté et de fraternité ; une fois tranquille du côté de létranger, il ny en aura pas pour longtemps.
Quand viendrez-vous me voir ? Venez demain, jeudi ; je ne fais rien, je bois, je mange, je dors ou je flâne. Jaurais besoin davoir une armée à conduire pour occuper mon activité ; mais je voudrais navoir rien à écrire du tout, à lexception de mes bulletins.
Oh ! quelle faute jai commise de me faire mettre en prison pour cet animal de lÉlysée !...
Nous ne pouvons pas tabler sur lhypothèse dun statu quo de deux ans ; de quelque façon que la chose arrive, il y aura un craquement général avant 1852. Coup dÉtat de lÉlysée, invasion des Austro-Russes ou toute autre cause ; vous verrez la France sur pied avant cette époque. Or, dans létat des esprits et avec la mollesse bourgeoise, cest le jacobinisme, cest le communisme.
Ne cherchons pas les idées organiques ; de la négation seulement ; nous ne pouvons sauver la liberté que par la négation.
Négation, cest-à-dire abolition de tous les impôts ; abolition de lautorité centrale ; souveraineté de la commune et du département ; application du suffrage universel à tout ; vous néchapperez aux jacobins et aux communistes que par là.
La France, quand elle nest pas juste-milieu, est montagnarde ; quand elle ne baise pas au derrière dun despote, elle se cache sous les jupes dune Convention. Sauvons-là delle-même par la plus large application des principes : le peuple, le peuple, sans cesse et partout.
Mais surtout guerre à la réaction ; à bas les Russes de la rue de Poitiers, les Autrichiens de lÉlysée, les Cosaques du Constitutionnel, les Pitt et les Cobourg de la rue Richelieu.
Il est temps de donner le branle-bas à la vieille civilisation : Sonnez, cors et musettes.
Venez me voir.
P.-J. Proudhon
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